Mon catalogue: 280 pages de descriptifs de produits vendus par correspondances, classés par rubriques, définitivement réappropriées par son lecteur/client potentiel. La chemise en toile de Mayenne devient «Ma chemise en toile de Mayenne», les disques compacts de relaxation deviennent «Mes disques compacts de relaxation», la porte blindée anti-effraction, «Ma porte blindée anti-effraction». 280 pages de descriptifs sans images où le remplacement de l’article défini par l’adjectif possessif agit comme l’illustration de notre rapport au produit-- de son désir à son utilisation. L’ensemble du descriptif comme illustration de notre aliénation au produit (à l’article): «Mon canapé. Telle une pièce de maître conçue avec un intense amour du détail, mon canapé, fruit du design contemporain, s’adresse à tous ceux qui, comme moi, ont le goût de la perfection et attachent de la valeur à la réalisation d’un style de vie personnel. Façonné à la main point par point par des tanneurs, selliers et bourreliers, mon modèle est un original : c’est le résultat d’un travail artisanal unique dans un cuir naturel d’exception. Car si ce que je possède me révèle, mon objectif n’est pas seulement de répondre à un souci utilitaire mais de donner une âme à mon mobilier.» Un putain de canapé dans lequel notre subjectivité engage une grand part de ses valeurs... La réécriture à la première personne du singulier (un singulier de série) comme mise en forme de la fusion des identités («Je») et des objets (le canapé). Une réécriture qui transforme le client potentiel en heureux possesseur... Un heureux possesseur qui s’approprie le monde comme un enfant (mon premier mange-disque, ma cuisinière, etc.). je suis ce que j’ai acheté et ce que j’ai acheté me révèle, me modifie: «Mon repousse-chiens. Je n’ai plus peur des chiens car je me protège des agressions en utilisant mon repousse-chiens. Une simple pression du doigt et le plus féroce des molosses se calme et s’éloigne immédiatement. Les ultrasons générés par mon astucieux appareil ont une action dissuasive sur les tympans des chiens de toutes races.» Révélation d’un stade ultime de la consommation... Un stade où ma personne appartient plus au produit que j’utilise qu’à moi-même. Un usage du produit qui parle en mon nom et transforme ce qu’il me reste de personnalité en usager aliéné et benêt. Un canapé et un repousse-chiens qui me révèlent dans une société qui limite ma capacité d’expression à ma capacité de choix. La commande (par correspondance) comme expression du désir. La vie est un catalogue, et la personnalité une utilisation.

in Jean-Charles Masséra, 'Amour, gloire et CAC 40', P. O. L., Paris, septembre 1999, p. 77-79.