ELSE a six ans. Avide d’ouverture, la revue fait entrer en dialogue les genres mais se veut surtout être un témoin privilégié des pratiques de demain.

À l’ère de la circulation massive des images numériques, la photographie n’a jamais autant voyagé ni engendré autant de projets artistiques. Cela explique notamment pourquoi cette édition présente son lot insolite de portfolios inédits: Thierry Bouët offre un aperçu de sa nouvelle série en cours, où il questionne la vie d’individus habitant en terrain penché ; Paul Bogaers désarçonne avec ses photographies en trompe-l’oeil, dont le cadre se matérialise littéralement ; Jill Quigley revitalise les cottages d’antan de son pays natal, l’Irlande du Nord, tandis que sa compatriote Mary Hamill nous donne à voir un bouquet de tulipes très personnelles.

Les artistes contemporains s’emparent d’objets retrouvés qu’ils détournent, à l’image d’Adrian Hermanides créant des tirages vertigineux à partir de négatifs abandonnés. En contraste avec ces travaux contemporains, ELSE garde ainsi toujours un regard attentif sur les photographies d’archives. Anonymes,souvent oubliées, ces séries du passé ont un pouvoir narratif intrinsèque envoûtant: ainsi le collectionneur Thierry Struvay nous fait découvrir une formidable série de « buveuses », tandis que douze photographies couleur de Les Krims, à travers une scène de vie toute simple – le nettoyage d’une voiture au jet, créant un arc-en-ciel artificiel, au gré d’une douce lumière crépusculaire –, nous offrent un véritable morceau de poésie visuelle, pour ceux qui prendront le temps de regarder.

Les images ont de multiples couches. Chacune recèle de secrets enfouis. C’est le rôle du regardeur de les faire apparaître ;en choisissant la page imprimée, ELSE fait ainsi ce pari de la lenteur et nage à contre-courant. À l’époque des nageurs en surface, envahis par le défilement des images, nous vous proposons une plongée photographique. L’onirique est ainsi à l’honneur dans le portfolio des collections: Suzi Pilet, dont le centenaire est célébré cette année, nous donne à voir ses« paysages intérieurs » à travers une série de portraits qui invitent à la contemplation.

Tatyana Franck, rédactrice en chef
Directrice du Musée de l’Elysée